Répétés ou entendus les faux souvenirs finissent par s’infiltrer dans nos vrais souvenirs
Par Marie-Paule Dessaint, docteure en sciences de l’éducation, auteure de 16 livres, conférencière et biographe
Celui qui pense qu’on ne peut changer le passé, c’est qu’il n’a pas encore écrit ses Mémoires. Robin Williams
On ne peut aborder le sujet de la mémoire et de ses ennemis sans parler des faux souvenirs.
S’ils sont normaux et sans grande conséquences, d’autres vont jusqu’à transformer des pans de notre personnalité et, d’autres encore, lorsqu’ils ont été induits par des thérapeutes peu consciencieux ou autoproclamés peuvent détruire la vie de certains enfants ou même de leur famille.
Cet article tiré d’un de mes livres consacrés à la mémoire et à l’intelligence, complète ceux-ci (et d’autres encore!)
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Les faux souvenirs sont des événements jamais advenus que nous sommes pourtant persuadés d’avoir vécus, vus ou entendus
Les faux souvenirs sont des voleurs de mémoire à leur façon, car ils prennent la place de vrais souvenirs, en plus, parfois, de les polluer et de les corrompre.
Dans le cerveau, ils activent en effet des zones cérébrales semblables à celles des vrais souvenirs.
À force d’être répétés et entendus, ils s’infiltrent dans nos vrais souvenirs au point de transformer, à notre insu, certaines de nos pensées, de nos croyances, voire des pans de notre personnalité et de notre identité.
Même les mythomanes finissent par croire à leurs propres mensonges à force de les dire et de les redire !
Si certains faux souvenirs sont sans grande conséquence (nous en créons tous), d’autres peuvent être carrément dévastateurs quand ils sont induits par des gens peu consciencieux, incompétents ou sans scrupules.
Certains thérapeutes (parfois autoproclamés) ont d’ailleurs contribué à aggraver la détresse de leurs clients ou carrément à détruire leur vie et parfois aussi celle de leur entourage.
NOS PROPRES FAUX SOUVENIRS, CE N’EST PAS SI GRAVE
Certains faux souvenirs sont normaux et sans grandes conséquences. Pour le neuroscientifique cognitiviste britannique Sergio Della Sala, ils seraient même le signe d’un cerveau en bonne santé
Nous fabriquons tous de faux souvenir, par exemple lorsque nous parlons et racontons aux autres ou écrivons des événements qui se sont produits dans notre vie, depuis notre enfance.
Pour ce faire, nous devons en effet opérer une sélection parmi un vaste enchevêtrement de souvenirs disséminés un peu partout dans notre cerveau.
Ces souvenirs de notre mémoire épisodique, la mémoire de notre histoire personnelle, se sont formés spontanément, sans apprentissage et sans encodage qui permettrait de les garder intacts.
Ils sont aussi colorés, enjolivés, enlaidis, transformés et quelque peu manipulés par de nombreux facteurs : notre façon habituelle d’analyser les événements et de les percevoir, autant par nos sens dominants (vue, ouïe…) que par les émotions négatives, positives ou neutres qu’ils ont suscitées en nous lorsque nous les avons vécus.
Ces souvenirs sont aussi transformés par les événements de notre passé qu’ils ont réveillés.
Notre vision du monde change, alors nos souvenirs en font autant
Notre vision du monde et de notre propre vie se modifie constamment, tout comme l’interprétation que nous en faisons, ce qui nous amène à reconstruire inconsciemment nos souvenirs.
Nous ne racontons pas une histoire de la même façon à 20, 40 ou 60 ans comme dans cet exemple tout simple.
À 20 ans, l’amour de votre vie vous quitte alors que vous en étiez follement amoureuse au point de souhaiter l’épouser et fonder une famille.
Si vous racontez l’histoire à ce moment-là, elle est dramatique, mais si vous la racontez à 30 ans ou à 40 ans, vous pourriez dire et vous dire :
Mais ! quel bon débarras ! Je suis tellement bien maintenant ! C’est cela qui devait arriver !
De faux souvenirs pour colmater les brèches entre de vrais souvenirs
Le bon vieux temps : tout ce que la mémoire range dans ses débarras en gommant le médiocre pour ne retenir que le meilleur. Philippe Bouvard
Comme les souvenirs de notre histoire personnelle ne sont pas souvent évoqués, ils se déforment et s’étiolent, au point où certaines bribes des événements finissent par disparaître.
De faux souvenirs vont alors les remplacer pour colmater les brèches entre deux segments bien mémorisés afin de bâtir une histoire la plus cohérente possible.
Le choix des faux souvenirs permettra de conforter l’idée que nous avons de nous-mêmes, c’est-à-dire notre identité
Il faut dire aussi que nous construisons une bonne partie de notre identité à partir des histoires que les autres racontent sur nous, ainsi que celles, souvent négatives ou pessimistes, que nous nous racontons nous-mêmes à notre sujet !
Demandez à vos grands-parents!
Pour comprendre ce phénomène des faux souvenirs, il suffit de penser à nos grands-parents lorsqu’ils nous racontent (ou racontaient) des histoires sur notre famille ou sur des événements sociaux, culturels et politiques qui ont marqué leur époque.
Si, par la suite, nous prenons soin de vérifier l’exactitude de leurs propos auprès d’autres personnes de leur génération, des membres de leur propre famille (parents, enfants) ou des médias de l’époque, nous risquons de ne pas entendre et lire tout à fait les mêmes versions.
Nos grands-parents avaient pourtant raconté tout cela… de très bonne foi.
Quand deux personnes qui ont vécu le même événements racontent des versions différentes: parfois hilarant!
Aussi, il est étonnant et parfois hilarant d’entendre certains couples de nos amis raconter une aventure qui leur est arrivée : première rencontre, voyage mémorable, accident, naissance de leur premier enfant, etc.
Nous avons souvent droit à deux versions quelque peu différentes puisque chacun a vécu cet événement à travers le filtre de sa propre réalité : ses besoins, ses peurs, ses valeurs…
Chacun est pourtant convaincu de détenir la bonne version des événements et, à force de la raconter, devient de plus en plus convaincu de son authenticité.
LES FAUX SOUVENIRS INDUITS PAR LES THÉRAPEUTES: SOUVENT DÉVASTATEURS
Notre cerveau est une éponge qui s’imbibe de suggestions. Francis Picabia
Lorsque de faux souvenirs sont implantés dans la mémoire d’un patient lors d’entretiens psychothérapeutiques, ils n’ont rien d’anodin et finissent souvent par gâcher leur vie pour toujours.
Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer ce scandale éclaté aux États-Unis, dans les années 1980, alors que des psychiatres avaient mis dans la tête de leurs jeunes patients et patientes qu’ils avaient été abusés sexuellement ou maltraités par un de leurs parents, ou par les deux ; ce qui était totalement faux dans la majorité des cas.
D’après le psychologue américain Robert A. Baker, en 1985, sur les 1 700 000 cas d’abus sexuels déclarés aux États-Unis, 65 % n’étaient pas fondés.
Dans les cas avérés, les souvenirs avaient certainement été refoulés en raison du stress traumatique intense causé par la situation, ce qui a conduit à une fixation excessive de glucocorticoïdes, les hormones du stress, sur l’hippocampe.
Cependant, plusieurs psychologues et psychiatres mettent en doute qu’un enfant puisse avoir occulté de sa mémoire un traumatisme aussi puissant et qu’on lui attribue alors toute la responsabilité de cette amnésie psychogène sans prendre en compte l’incompétence de son thérapeute.
Comment ces thérapeutes en sont-ils arrivés à cela ?
Simplement par des questions mal posées, biaisées, porteuses de sens et de réponses (non neutres).
Par des suggestions et des indices subtils aussi, ou encore en faisant part à leurs jeunes clients d’hypothèses appuyées sur des résultats d’études et de statistiques.
Pour ces enfants, ce souvenir a fini par devenir une évidence, même si rien ne s’était vraiment passé
Malheureusement, si certains d’entre eux sont parvenus à se déconditionner de ces faux souvenirs induits, d’autres n’y sont jamais parvenus, même avec de l’aide.
L’expression faux souvenirs induits a d’ailleurs été inventée par le mathématicien Peter P. Freyd faussement accusé d’abus sexuel par sa fille alors qu’elle était engagée dans une thérapie.
Deux écoles de pensée s’affrontent encore aujourd’hui sur l’origine des faux souvenirs induits en thérapie.
En mars 2016, le psychologue Hubert Van Gijseghem a d’ailleurs publié sur le site de l’Ordre des psychologues du Québec un article très intéressant qui fait le point sur cet épineux sujet La détection de faux souvenirs .
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